Pourquoi nous quittons la Confédération Paysanne
Mercredi 22 février 2006
EPILOGUE : Pourquoi nous quittons la Confédération Paysanne ?
Lors de la réunion mensuelle du mois d’octobre nous avons tenté d’expliquer pourquoi nous quittions la Confédération Paysanne de l’Ariège. Si les présents à cette réunion et les habitués des précédentes ont pu constater que la question des O.G.M. n’était pour nous qu’une des multiples illustrations des voix de garage dans lesquelles la C.P. s’est engagée, le compte rendu qui en a suivit laissait toutefois supposer que c’était précisément cette question qui en était la cause. Aussi, afin de lever toute ambiguité et comme nous l’avions annoncé, il nous parait important aujourd’hui de motiver plus précisément les causes de cette rupture.
Au fil des années, nous n’avons eu de cesse de débattre sur le rôle d’un syndicat mais plus précisément des motivations des adhérents ou des militants vis-à-vis d’une structure comme « la Conf’ ».
La diversité culturelle et matérielle de chacun a conduit tout naturellement le collectif à se fédérer autour d’une image de marque ( non -corporatisme, défense d’une « agriculture paysanne », réseau de paysans mettant en place des alternatives, citoyennisme, ouverture, lutte contre le productivisme etc.), adhésion tacite à une image de marque qui a conduit ainsi à repousser voir refuser tout débat de fond ; image de marque en dehors de laquelle, toute autre considération sera jugée abstraite et inutile, voir source de confrontations que beaucoup jugent néfastes.
Quelqu’un disait un jour « un présent sans passé n’a pas d’avenir ». Il est vrai qu’aujourd’hui les choses semblent aller de soi, telles qu’on nous les a présentées, telles que nous les avons toujours perçues. Aussi avant tout autre développement nous jugeons utile de replacer le syndicalisme dans son contexte historique.
Issu du mutuellisme et de la liberté d’association arrachés par les ouvriers du XIX ème siècle, le syndicalisme était à l’origine un outil de lutte et d’émancipation d’un pouvoir cœrcitif et sans concessions.
L’accaparement des ressources et des outils de production étaient tels que les ouvriers réduits à la misère, conscients de leur condition d’esclave (le mot n’est pas trop fort), élaborèrent concrètement et progressivement des réponses dont beaucoup sont l’émanation de ce que l’on nomme aujourd’hui « acquis sociaux » :
Bourses du travail, coopératives, mutualisation, protection sociale, remise en cause de la propriété, etc.
Pour les hommes de ces temps là, la séparation entre syndicalisme et politique était simplement inconcevable.
De ce fonctionnement de type auto gestionnaire, à la fois vertical (corporation) et horizontal (de la base au sens large) découlaient avec l’action, la réflexion et la revendication.
Le monde paysan de l’époque était composé :
- d’un coté d’une classe de propriétaires privilégiés issue de la révolution de 1789 ; classe de notables et de parlementaires ruraux, elle fut la meilleure alliée des versaillais lors de la commune de Paris.
- d’autre part, d’ouvriers agricoles, fermiers ou métayers, de journaliers dont la condition n’était guère enviable à celle des ouvriers. Historiquement réfractaires au pouvoir central, pressentant de par leur culture, les dangers de l’industrialisation et malgré leur isolement géographique, ils seront sporadiquement le fer de lance de la lutte dans les campagnes (en Ariège : guerre des demoiselles [1], des gueux résistant contre les industriels et le pouvoir étatique).
Avec le clivage créé entre les tenants de l’autogestion, du mutualisme et du fédéralisme d’une part, et les tenants d’un pouvoir centralisé et du parlementarisme d’autre part, c’est le rôle du syndicalisme qui va évoluer.
Arrive le début du siècle. Avec la concentration et l’accaparement des moyens de production, poussés par le « progrès » et la révolution industrielle, le capitalisme atteint un tel paroxysme qu’il ne lui reste guère le choix entre une régulation de l’état (inconcevable dans la guerre de classe déclarée), ou la boucherie organisée que fut la première guerre mondiale. Ce fut la saignée dans les classes ouvrières et paysannes. Contestataires et syndicalistes étaient bien-sur envoyés en première ligne.
Après le congrès de Tours (1922) et la scission entre socialistes et communistes, la république trouva enfin les réformateurs dont le système avaient besoin pour réguler son économie ; d’autant qu’avec la crise de 29 les Etats-Unis entamaient le même processus.
Progressivement, les luttes sociales et le syndicalisme ne consistaient plus à combattre l’appropriation des ressources, la première étant le travail humain, mais à aménager sa place à l’intérieur de ce système.
Il importait donc pour le pouvoir quel qu’il soit, de dissocier représentation politique, parlementarisme (centralisation du pouvoir maintenant les classes privilégiées), et syndicalisme, pour en faire un outil de revendication régulant toute pression sociale intempestive. Le syndicalisme se trouva ainsi vidé de toute sa substance politique pour en faire un « outil de gestion ».
Bien sûr, une grande partie des ouvriers conscients de cet état de fait, n’entendaient pas rester passifs devant cette dépossession. Il importait donc pour les dirigeants syndicaux, partisans d’un pouvoir central, de créer à l’intérieur des structures une hiérarchisation et un fonctionnement du même type que ceux de la représentation politique ; toute tendance à l’autogestion et au fédéralisme étant à étouffer dans l’œuf.
C’est ainsi qu’il est entré dans la tradition chaque fois que le pouvoir c’est vu déstabilisé, de faire appelle à la négociation syndicale (1936-1968).
Le régime d’après guerre comprenant bien l’entrave potentielle que représentait la paysannerie pour la machine industrielle qu’il convenait de remettre en route, créa la FNSEA [2]. Issue en droite ligne du régime de Vichy, nationaliste et corporatiste, à l’aide de toutes ses organisations satellites, elle sera le levier de l’industrialisation et de la destruction de la paysannerie française. De même, plus les contestations et les divergences internes apparaissaient (ouest de la France, JAC [3], plus sa structure se verrouillait et se hiérarchisait.
En 1959 se créait le MODEF [4] (mouvance PC). Sa perte d’influence suivra exactement celle du PC. Ici aussi, pas d’innovation ni sur les luttes ni sur le fonctionnement.
Durant les années 60-70, les travailleurs paysans, notamment dans l’ouest, à l’instar de Bernard Lambert (« jamais plus les paysans ne seront des versaillais ! »), après les désillusions du système coopératif comme outil de réappropriation des travailleurs, nouèrent très souvent des solidarités concrètes avec les ouvriers et entamèrent des luttes de terrain : 1960, 1966, 67, la commune de Nantes en mai 68, les grévistes de St Brieuc 72 …
Quand en 1987 la FNST [5] (dissidents de la FNSEA) et le CNSTP [6] créaient la Confédération Paysanne, c’était la réunion d’un courant de sociaux démocrates chrétiens d’un coté et proche de l’extrême gauche de l’autre. Cette mouvance à laquelle se greffaient quelques électrons libres de type « libertaire », exprimait clairement une résistance aux « trente glorieuses ». Toutefois, si ces électrons libres représentaient une infime partie des membres de la C.P., leur activisme ainsi que leurs exigences en termes de fonctionnement et d’action ont permis de donner provisoirement à la structure, l’illusion d’une réelle résistance face aux techno sciences (OGM), la spéculation, la propriété privée, en somme d’être un réel contre-pouvoir face à aux facéties d’une gauche « bien pensante ». Mais l’appartenance d’une majorité de la Confédération Paysanne à cette gauche bien pensante, de concessions en reniements n’a plus laissé à celle-ci comme issue que le « citoyennisme », concept aussi flou que l’agriculture paysanne.
Sur la cogestion, leitmotiv des débuts, la chose fut vite entendue dès lors qu’elle prit ses fauteuils.
Sur le salariat, force est de constater son absence totale d’implication sur l’application des 35H en agriculture ; idem pour les conventions collectives agricoles.
Sur le productivisme : la disparition régulière des petites exploitations l’oblige sans cesse à réévaluer à la hausse sa définition des petites exploitations, sans avancer pour autant sur les exploitations « de subsistance ».
Sur les subventions, la conf’ soutenait la contractualisation (CTE), regardons aujourd’hui comment l’éco-conditionalité fournit un outil idéal pour la technocratie et la répression administrative (PAC 2005).
Le plafonnement tant revendiqué est aujourd’hui un instrument de régulation du marché mais au profit des filières agro-industrielles.
Que dire des faux semblants autour des labels, signes de qualité et autres définitions comme « produits fermiers » sans aucun contenu social.
Faute de dénoncer l’hygiénisme, la répression sanitaire, le cadrage administratif, elle en arrive à collaborer avec l’appareil de contrôle qui est du même type que dans le reste de la société (aide sociale, chômeurs, sécurité, répression etc.) ; par exemple : on ne conteste pas l’existence d’un catalogue de semences certifiées, pierre angulaire qu’offre l’état aux agro semenciers, mais on négociera l’intégration en son seing des semences paysannes ou bio.
Tous les agriculteurs viennent de recevoir du ministère « un cahier des charges PAC 2005 », infraction-sanction. Quel sera le rôle de la conf’, sinon celui d’arrondir les angles au coup par coup ?
Le foncier, cheval de bataille de la CP : Après quelques luttes, toutes plus symboliques qu’historiques, le rôle que la CP s’est donné à travers les institutions et ses ADEAR [7], est celui d’accompagnement administratif et d’insertion sociale.
Avec l’abandon de la contestation de la propriété privée (même avec le code rural en main), non seulement elle ne combat plus le système spéculatif, mais elle désamorce aussi tout autre lutte en mettant les candidats à l’installation sous la coupe d’élus locaux trop heureux de pouvoir ainsi justifier de leur position politicienne. Faute de créer des solutions collectives elle participe à l’élaboration de solutions individuelles ; des exceptions qui confirmeront la règle.
Nous ne reviendrons pas sur la question des OGM qui a permit de donner à la CP pour un temps seulement, l’illusion d’une radicalisation de ses revendications contre le scientisme. Mais le principal auteur de son argumentaire (R.Riesel) [8] a vite quitté les lieux, à la suite purement médiatique de l’affaire du Mac-do.
Sur le corporatisme et le clientélisme, que dire de l’affaire scandaleuse de la feta [9] qui grâce à la maîtrise de la structure nationale par les « leaders », à permit aux aveyronnais de défendre leur lait de brebis au détriment des petits producteurs grecs, leur déniant le monopole de leur appellation. Et que dire de la défense des systèmes d’intégration bretons ?
Non seulement la conf’ a abandonné toute velléité de combattre, sinon de dénoncer la tromperie de la marchandise, la propriété, l’industrialisation et l’artificialisation de notre monde, fleuretant même avec les CUMA [10] (fer de lance du machinisme), mais dernièrement, et cela aucun paysan ne l’aurait imaginé, elle dépose la marque « Agriculture Paysanne » à l’INPI : Institut National de la PROPRIETE INDUSTRIELLE.
Pourquoi ? Pour mieux capter un des multiples réseaux qu’elle entend ainsi parrainer, comme les AMAP [11].
Si ces réseaux partent d’une réelle volonté de mise en pratique d’alternatives, faute de positionnement politique et une fois soit disant « fédérés »autour d’une vague charte de bonnes intentions, ils ne feront que créer de nouvelles niches de marché sans remettre en cause la marchandise et surtout sa signification.
Pour arriver à un tel résultat et étouffer toute contestation interne, il convenait à l’instar de leurs aînés de verrouiller à leur tour la structure (multitudes de commissions, système pyramidal, pouvoir exécutif fort).
C’est ce qui a été fait, allant même jusqu’à censurer des structures départementales (Ariège …) ou demander à une structure régionale (Midi-Pyrénées) de faire son autocritique, ou passant outre des aspirations d’assemblées générales houleuses (ça rappelle des choses camarade !).
Ici aussi toutes propositions de fonctionnement de type « horizontal » seront étouffées dans l’œuf.
Si la contestation, voire l’anti-étatisme comme nous l’avions mentionné plus haut était particulièrement actif et souvent radical dans le milieu paysan, ce n’est pas par hasard. Soucieux de son autonomie, étant étroitement en contact avec la nature il était aussi socialement et physiquement en retrait de la société. C’est ce petit parfum de lutte et d’anti-étatisme qu’a exploité un temps la Confédération Paysanne comme une image à offrir en pâture à l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, cette paysannerie ne peut plus exister dans ce contexte de marchandise et de dépendance, le citoyennisme a pris la relève.
Dans ce qu’il est convenu d’appeler la modernisation de l’agriculture, la Confédération Paysanne aura joué à son corps défendant souvent, sa propre partition. Confrontée à ses propres contradictions liées à son fonctionnement, non seulement elle n’aura pas pu empêcher ni même freiner la disparition des paysans mais de surcroît, en se positionnant sur le mode de « la contre-proposition réaliste et responsable », elle aura permis la mise sous tutelle de l’état de tous ceux qui veulent vivre de la terre.
Nous avons vu ça de notre Ariège : la feta, les grand-messes syndicales, le Larzac, les OGM et tout le reste et nous nous disions la Conf’ de l’Ariège a encore sa propre réflexion, sa propre existence, ses individualités multiples, nous nous raccrochions au local… Alors pourquoi quittons nous la conf’ ?
Mais d’abords pourquoi y avons-nous adhéré ?
Il n’y avait pas le choix. Et puis rassembler ceux qui ne se reconnaissent pas dans les autres organismes, laissait penser qu’il y avait là une forte capacité à développer l’alternative.
Au fil du vécu les images rassembleuses nous faisaient dire : « faire partie de la mouvance, de gauche, large, alter mondialiste, anti-OGM, contre le productivisme, la marchandisation et ses nuisances… en gros dire et surtout croire être des paysans responsables, conscients de devoir agir dans le métier et plus largement dans nos vies quotidiennes, au-delà d’intérêts purement corporatistes et purement économiques.
Ces images resteront façade !
Durant ces années passées avec vous et présents à un maximum de réunions nos efforts ont porté très souvent à engager une réflexion critique que nous jugions primordiale pour développer les arguments, l’autonomie, la cohésion de notre groupe dans sa diversité ; la plupart du temps autour d’événements que nous avions à traiter [12] ; une réflexion pour que nos différences soit source de création et non d’affrontement.
Ainsi la force avec laquelle nous insistions si elle n’a pas porté les fruits que nous en attendions a eu l’évidence de faire émerger les pensées qui pour nous, apparaissaient déjà dans les manières d’agir ; illustrées par les choix de fonctionnement, le comportement vis-à-vis du politique, des mouvements sociaux, de la conf’ nationale ou régionale, des OGM, etc.…
Et nous entendions que :
« La conscience politique se fait hors du syndicat. » « Nous sommes des réformistes et alors… »
« Nous sommes là pour aménager la misère » sans commentaires, « Pour lutter contre les OGM il faut passer par le lobbying auprès des politiques. » comme les agrochimistes de Bruxelles.
« Ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent en haut ça ne nous regarde pas »
Que l’internationalisme paysan souffrait de défendre la feta française comme les CGTistes ringards du « travail au pays » ; au pays oui mais sans se vendre.
Dans les mouvements sociaux pour affirmer l’esprit non corporatiste : « nous n’irons pas soutenir les privilégiés qui font grève » ou encore « nous n’allons pas soutenir les squatters, c’est un problème social pas agricole. »
Dans les choix technologiques : « chacun produit comme il veut ! », « l’hygiène est un sujet trop sensible pour intervenir » et dernièrement « vu la différence d’opinion, mieux vaut ne pas parler des OGM ».Cette différence qu’il convient de gommer, surtout si l’on est aux commandes (comme pour la question de l’ours) [13].
Bien sûr, pourvu qu’il reste une place en rayon pour mes produits ! C’est pour cela d’ailleurs que la bio n’est rien de plus qu’une marchandise. Nous ne produisons rien de plus que des niches économiques et notre syndicat s’ouvre une niche de plus dans la cogestion.
Vous nous direz alors : « mais un des auteurs de ces lignes a lui-même participé à cette cogestion. » ? Oui ! C’est vrai il n’a pratiquement jamais raté une CDOA [14] pendant trois ans et c’était pour lui une remise en cause quotidienne. Mais aucun politique n’est jamais venu lui taper sur l’épaule comme s’est arrivé par ailleurs en lui disant : « au moins avec toi on peut discuter, tu es constructif comme un tel ou un tel, c’est pas comme lui qui arrive toujours avec son code rural sous le bras ! »
Constat d’échec pour celui à qui s’est arrivé mais surtout pour la conf’, considérée aujourd’hui par le pouvoir comme un partenaire fréquentable.
Enfin la conf’ 09 s’empressera d’occuper la place laissée vide par la défunte FASEA [15], ce genre d’initiative finira de l’enliser, car il est certain que faute de position politique le siège définit la forme et le contenu de l’action, plus que la personne qui s’y épanchera.
Il suffira ensuite de couvrir les adhérents du discours qu’ils veulent entendre et tout restera en ordre.
Ces années passées nous ont montré comment un syndicat, en quelques années et insensiblement (du procès de Foix à aujourd’hui), de délégations (représentation, animation) en silences compromettant, de clientélisme inavoué en négation des différences, a perdu son autonomie et sa convivialité qui faisait toute sa force.
Ce texte ne tend qu’à démontrer (historiquement, nationalement, localement) que cette situation de perte progressive d’autonomie n’est ni une question de terrain, encore moins de personnes, mais une constante sur les relations du peuple avec ce qu’il est convenu d’appeler « le pouvoir ». Si nos aînés pris dans la tourmente de l’histoire pourraient se targuer d’avoir « essuyé les plâtres », nous qui avons aujourd’hui un peu plus de recul sur ces mécanismes n’avons d’autres alternatives que l’auto gestion, le fédéralisme, inventer de nouvelles pratiques sur ces bases là, ou alors le choix qu’a explicitement affirmé la CP09, celui du réformisme donc de l’adhésion et de la collaboration.
Les demoiselles ne sont plus… que dans quelques esprits libres …peut-être dans quelques valises…
« Se distinguer, se définir, c’est être ; de même se confondre et s’absorber, c’est se perdre. » PJ.Proudhon
Texte de Didier Leboeuf et Bill Arlaud, paysans dans l’Ariège
Didier Leboeuf 09420 Rimont 05 61 66 74 34
Bill Arlaud 09130 Le Fossat 05 61 68 27 02